Intervention à propos de l'estuaire de la Charente dans le cadre des 20e rencontres du réseau des grands sites de France (RGSF) à Orgnac d'Aven (5 octobre 2018)

Cette courte intervention s'intitule "estuaire de résonance" et vous allez vite comprendre pourquoi.

1. Un territoire en mouvement

Tout d'abord je vous présente les images qui vont défiler sous vos yeux. Elles montrent le territoire de l’estuaire à différentes périodes.
La "Vue du port de Rochefort... » par Joseph Vernet (Musée du Louvre, 1754-1765) montre le cœur de l’arsenal qu’est la corderie royale. Si ce territoire a eu une histoire médiévale intéressante, la création de l’arsenal maritime marque son entrée dans les temps modernes avec une vocation militaire très marquée qui le détache de l’influence de La Rochelle.
Si l’arsenal polarise l’attention, n’oublions pas que d’autres mouvements historiques ont eu lieu avec par exemple la création de la station balnéaire de Fouras rendue possible par l’ouverture de la ligne ferroviaire entre Rochefort et La Rochelle en 1873 (carte postale de Fouras, Archives départementales de Charente-Maritime, non datée). À cette même période, une autre activité voit le jour avec l’ostréiculture moderne.
Le Pont du Martrou sera l’un des lieux de tournage des « demoiselles de Rochefort » (Ciné - Tamaris, 1967) de Jacques Demi. Cet ouvrage du début de XXe siècle, monument historique classé, appartient à l’histoire des franchissements de la Charente aux côtés du viaduc plus récent. Le Pont du Martrou est aussi le symbole d’une époque où Rochefort prend une vocation aéronautique encore présente à ce jour avec une production pour Airbus.
La protection de l’arsenal a nécessité la création d’un chapelet de forts, appelé la Ceinture de feu, dont le plus célèbre est Boyard dans la mer des pertuis. L'émission de divertissement « Fort Boyard », ici en version coréenne (2003), a popularisé ce monument historique, lui offrant une célébrité internationale proche du Mont Saint Michel.
Sur des côtes altimétriquement très basse, le risque de submersion est important comme l'a montré l’évènement Xynthia (2010) et le programme de construction de digues qui s’est ensuivi. La présence périodique de l’eau tout comme les digues, sont des marqueurs de paysage littoral très importants.
Ce même littoral fait l’objet de pratiques culturelles très ancrées telles que la pèche à pied, ici dans la passe aux dames de Port-des-Barques. Cette pratique représente un patrimoine populaire qui nourrit l’identité locale tout en provoquant des conflits d’usage.
Les activités nautiques sont en perpétuel renouvellement. Ici, le Fort Boyard Challenge avec la pratique du paddle. On remarquera que cette nouvelle pratique récréative peut se pratiquer sur le rivage comme dans les zones humides de marais, quitte à troubler la tranquillité de ces espaces sensibles.
Enfin, l’estuaire est un territoire de projets comme dans le cadre de l’Opération grand site qui peuvent être prospectifs comme avec cette Étude du CRAPAUD (INSA Centre Val de Loire, 2018).
Que veut montrer cette énumération de 8 périodes ? Qu’il s’agit d’un territoire en mouvement avec des circonstances sans cesse évolutives. Ce constat, très simple, nous conduit à une approche dynamique.

2. L’appel et l’action
La grande richesse des contenus environnementaux, scientifiques (dont l'archéologie), sociaux (patrimoine immatériel) a conduit à beaucoup protéger ce territoire tant en matière de patrimoine (des monuments historiques majeurs pour la Charente-Maritime) que de paysage (un grand site classé datant de 2013).
Ces protections ne font pas un projet en soi mais elles y contribuent en garantissant un niveau d’exigence qui ne cesse de progresser et une attention toute particulière portée à l’esprit des lieux. C’est ici qu’intervient pour moi la résonance pour reprendre le terme du sociologue allemand Arthmut Rosa.
Résonance des sites tout d’abord. Résonance pour eux-mêmes et entre eux. Dans ces milieux souvent très sensibles, nous devons être constamment attentifs à leur état en nous méfiant des diagnostics définitifs. Leur perpétuelle mutation impose une disponibilité pour comprendre l’appel qui en émane, j’entends par appel la réciprocité entre leur richesse intrinsèque et les besoins qu’ils appellent. Cette écoute est d’autant plus importante que les sites s’appellent et se répondent. Il n’est pas possible par exemple de dissocier l’Île d’Aix et l’Île Madame alors même qu’elles sont de part et d’autre de l’estuaire dans des situations administratives très différentes.
À cette résonance des sites répond celle des acteurs. Nous constatons qu’une communauté d’acteurs s’est mise en place en réunissant élus et techniciens de l’agglomération, conseils (CAUE…) et services de l’État émanant de plusieurs ministères. Cette communauté de travail agit de manière quasi autonome dans l’intérêt bien compris de chaque structure au point de poursuivre un intérêt commun. Il y a là quelque chose de l’ordre d’une invention dans la gouvernance, et si on parle beaucoup en ce moment de design de politique publique, force est de constater de ce mode de fonctionnement s’est naturellement mis en place. J’en veux pour preuve le diagnostic en marchant du site de l’arsenal et la volonté d'en dessiner un plan guide.
Il y a bien un continuum des dispositifs de protection réglementaire entre culture et nature, entre espace urbain et espace naturel ouvert mais ce continuum est largement dépassé au profit d’une approche globale, que nous pourrions dire systémique ou en tout cas englobante d’un grand nombre de problématiques. La continuité qui résonne ici n’est que secondairement la continuité d’un territoire ; elle indique bien plus un enchaînement de significations s’organisant autour de l’Opération grand site, et devient le lieu à partir duquel un grand nombre d’actions et d’intentions de projet se focalisent.

3. L’héritage du futur
La résonance continue. Du fait des effets du changement climatique, nos écosystèmes vont subir « une transformation majeure » au cours des prochaines décennies. Ces changements, déjà visibles, vont provoquer une transformation extrêmement rapide des paysages. Déjà, les eaux chaudes provoquent une surmortalité des naissains d’huîtres et l’ostréiculture pourrait rapidement en pâtir. Les espaces poldérisés sur les rives de la Charente supporteront-ils l’élévation du niveau de la mer ?
Les écosystèmes vont devoir se hâter pour s’adapter et nous aussi. Il est donc primordial aujourd’hui d’être en résonance avec l’estuaire pour l’accompagner dans les transformations à venir. Si Rochefort est réputée pour l’innovation militaire, demain, c’est une tout autre innovation qui est attendue avec des solutions fondées sur la nature.

Et des images des visites faites lors des rencontres (Pont d'Arc et Aven d'Orgnac)
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