Travailler sur le handicap demande de reconnaître totalement la personne handicapée, son statut et ses droits. Le handicap ne représente pas uniquement une déficience physique ou mentale, il s’intéresse ainsi aux répercussions de celle-ci sur la vie sociale de la personne.
Le passage par un centre est un des moments charnières de l’insertion. L'ambition est d'amener des personnes, souffrant d'une incapacité, à acquérir l'assurance et l'autonomie nécessaires pour assumer une vie ordinaire. Accueillant des personnes dont l'état de santé est dit « stabilisé », un centre propose une mise en situation proche de la vie professionnelle courante. Ce n'est pas un centre d'accueil. Ce n'est pas une entreprise ordinaire. Organe intermédiaire, il apporte un soutien à des travailleurs en état momentané de fragilité.
Il s’agit avant tout d’un accompagnement où l’institution stimule l'épanouissement des personnes par un soutien mesuré. Cet accompagnement nécessite un milieu de vie pacifiant. Les angoisses s’y calment et laissent place à l’écoute. L’architecture d’un centre doit être tourné vers cette unique finalité : elle doit s'effacer, laisser place à l'homme, à sa stature, à sa marche, à son œil. Dans le centre, se voisineront ateliers, lieux de rencontres, de détentes et de formation et bien plus qu’un assemblage muet de situations de vie, chacune et de leur combinaison doit être un « moment soignant ».
Projet
Conscient de la nécessité de composer l'espace du travailleur, ce projet a été abordé en suivant l'enchaînement des moments quotidiens dans la vie d'un centre, en imaginant pour les travailleurs un parcours dynamique d'espace en espace. C’est un travail sur la perception cinétique de l'ensemble du centre où l'enchaînement des moments s'y exécuteraient par l'intermédiaire de mouvements incitatifs.
Notre but est de magnifier l'expérience kinesthésique pour provoquer une relation intime de la personne aux murs en amenant des variations dans le parcours, en travaillant sur l'articulation entre l'intérieur et l'extérieur, en se souciant des approches, des gradations fines de hauteurs et de lumière, des interpénétrations d'espaces. Mais un mouvement comme rester, entrer, sortir,   chez   la   personne   handicapée   mentale,   amène   toujours   une alternative douloureuse. Intervient la notion de glissement : les passages d’espace en espace, les seuils, sont réalisés par glissement, par cette lente transition.
Durée
Négation du temps homogène, de l'espace homogène, le handicap mental appelle la durée, intéresse le temps vécu. Ni l’état d’une personne handicapée, ni la qualité de ses relations avec le monde ne sont chroniques. Comme chacun, son existence s’écoule dans une perpétuelle évolution. Il s'agit de redéfinir notre approche de l'accompagnement, par la prise en compte de cet écoulement dynamique. L'ouvrage que l'on croyait immobile, le poids de la matière, s'efface devant un foisonnement d'espaces, propre à accueillir tour à tour, des travailleurs fortement angoissés, d'autres en apprentissage actif, d'autres enfin totalement émancipés du soutien de l'institution.

Ce propos part de l’idée que la matière dans le temps ne cesse de fluctuer, d'accepter le changement d'état au gré des perceptions qui l'animent. A l'extrême, il ne faudrait voir dans le réel que des flux, des potentialités passant à l'acte grâce au support du visible. En fait ce n’est pas la matière qui vibre, mais c’est la vibration, le mouvement, qui prend des aspects matériels. Alors l’architecture devient flexible, élastique, ayant le potentiel de ses multiples devenirs. Loin de l'inertie, elle appelle au changement incessant.

La grande difficulté dans la conception d'un Centre d’Aide par le Travail provient de la diversité et de l'évolution personnelle de l'ensemble de la population accueillie. Comment répondre en même temps à tous, en offrant des lieux épanouissants pour chacun ? Une réponse simple consiste à donner non pas une, mais plusieurs qualités spatiales pour une même situation. Faire, par exemple, des ateliers à plusieurs visages, donner en tout cas à un même lieu des qualités spatiales distinctes.

Ce projet propose une multitude de parcours quotidiens gravitant autour d’un parcours très protégé, et d’un autre plus épanouie. Ils ne cessent de s'entrelacer, d'occuper les mêmes espaces, proposent une infinité de combinaisons dans l'enchaînement des situations tout au long de la journée. L’enjeu est de susciter les processus décisionnels du travailleur en créant des choix, des points de stases, de rencontres potentielles, d'hésitation.
Principe
Dans l’implantation du bâtiment, l’élaboration d’une structure en bandes horizontales à permis d’introduire deux mouvements fondamentaux lors de la déambulation : d’une part, parcourir une bande, d’autre part, franchir le seuil entre deux bandes. Le premier mouvement, le parcours, met la personne en situation d'accompagnement par  la  matière. Le second, le franchissement, en marquant des seuils, fait appel au choix, à l'envie de trangression.

A l'échelle urbaine, cette composition contracte le site. Pour le travailleur, elle structure le centre selon l'ordre d'une succession de fonctions. La personne peut percevoir l'ancrage de chaque lieu dans le tout et deviner la trame de l'ensemble par la succession entraperçue.
Mise en écriture de deux parcours
Si nous avons en commun des espaces, chacun d'entre nous les pratique en une durée propre. Paradoxalement, l'expression correcte de toute nos personnalités se réalise lorsqu'un cadre suffisamment construit vient offrir matière à tous. Il s'agit ici de déterminer un cadre ouvert, accueillant l'indéterminable d'une existence épanouie.

Une  mise  en  écriture  expose  deux  parcours  éventuels.  Des  qualités spatiales ont été décrites comme une notation musicale s’inspirant du mode de notation littéraire du contrepoint libre, celui du compositeur John CAGE.

La spécificité d'un lieu se définit comme la combinaison de différentes qualités s’écoulant selon un rythme propre dans le temps. Rencontrées en un même lieu, elles forment ce que l'on pourrait appeler une hétérophonie. La recherche d'un environnement pacifiant se confronte à cette hétérophonie, nécessite l'accord de ces différentes temporalités, et en quelque sorte, crée une polyphonie.

Commence alors une écriture contrapuntique permettant, à la fois, une lecture horizontale de l'ensemble (de l'écoulement de chaque phénomène) mais aussi verticale (de la simultanéité dans l'instant).

Cinq qualités sont décrites dans un système en prenant comme référence (cantus firmus musical) le déroulement d’une journée de travail. Cette mise en écriture doit être comprise comme un moyen pour arriver à une solution architecturale. Elle propose des règles d’enchaînement qui seront reprises par les plans et les coupes.
Conclusion
L'insertion nécessite la réciprocité. Parlant de l’église de Ronchand, Le Corbusier dit  "je  montrerais ici  que  le  dehors est  toujours un  dedans". L'ordre d'une architecture ramasse le paysage qui l'entoure et l'assujettit à sa composition. Alors survient l'inversion soudaine du dehors et du dedans. A partir de son intériorité, l'architecture ordonne le paysage.

Cette inversion sert l'insertion. Depuis le centre, elle projette le travailleur à l'extérieur, l'assure de la civilité du dehors.
L’architecture se doit d’accueillir la personne handicapée. Mais ce rôle ne suffit pas car il réduirait l’insertion à ne proposer qu’un environnement protégé. L’accompagnement réside fondamentalement dans la réalisation de cette inversion où l’institution devient « immobile, à grands pas ». Elle intéresse l’instant présent, le suivi quotidien et en ordonnant le milieu extérieur depuis son intériorité, prépare l’avenir des personnes dont elle a momentanément la charge. 

Type : Projet d'architecture
Année : 1997 - 98
Localisation : Les Ulis (91)
Structure porteuse : Ecole spéciale d’architecture de Paris
Objet : Création d’un centre d’aide par le travail dans la zone d’activité économique de Courtaboeuf
Auteurs du projet : Jean Richer sous la direction Philippe Madec et Sophie Brindel-Beth


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