UNE HISTOIRE RECENTE
90 lotissements isolés en milieu boisé sont répertoriés dans le Loiret. Ils appartiennent à une histoire touristique méconnue du XXe siècle. Isolés des centres bourgs, enclavés dans des bois, irrigués par des voiries souples, ils représentent une forme urbaine quasi unique en France.
Une morphologie unique
La desserte du Gâtinais par l’autoroute A6 (tronçon Nemours - Auxerre ouvert en 1967) en complément de la Route nationale 7 a considérablement réduit son temps d’accès depuis l’Île-de-France. Cette opportunité fut saisie par deux promoteurs pour développer des lotissements de résidences secondaires dans des espaces boisés isolés.
Produit touristique rural et populaire, ce type d’aménagement urbain spécifique au Loiret apparaitra entre 1968 et 1974. Le plus grand se situe à Bazoches-sur-le-Betz : « Les Étangs de Béon » ne comportent pas moins de 439 lots. 17 de ces lotissements possèdent plus de 90 lots. Des constructions encore visibles de type chalet dans certains quartiers montrent bien leur destination initiale de villégiature. L’arrivée de l’Autoroute A77 (ouverte en 1996) aux portes de l’agglomération Montargoise va de pair avec une reconversion de ces lotissements et on observe alors un phénomène de principalisation : l’installation des propriétaires nouvellement retraités et la revente de biens par les propriétaires initiaux à de jeunes ménages. S’en est suivie une période de normalisation par la reprise des voies dans le domaine public et des aménagements importants réalisés par les collectivités.
Les lotissements en milieu boisé du Loiret font preuve d’une constance de conception, tant en matière de localisation le long des voies de communication reliant le Loiret à Paris que par leur organisation interne, le dessin de leur voirie et la grande liberté laissée aux constructeurs. Néanmoins, il faut différencier les lotissements ouverts sous gestion communale ou d’une association syndicale, qui ont beaucoup évolué, des lotissements privés qui sont restés constants. Ces lotissements sont le plus souvent furtifs et introvertis. Cela se caractérise par un isolement des centres bourgs, une enceinte boisée qui ne les rend pas ou peu visibles depuis les voies de communication, l’adossement à une pièce d’eau, le traitement aérien des eaux pluviales occupant l’accotement des voies de circulation intérieures, la présence d’espaces de vie collective plus ou moins développés allant de simples placettes à des golfs en passant par l’aménagement des rives des pièces d’eau.
Mode d’habiter en lotissement isolé
Sur les 90 lotissements isolés en milieu boisé dans le Loiret, 69,5 % des propriétés sont occupées aujourd’hui au titre de résidence principale, 26,1 % comme résidences secondaires et on observe 4,37 % de logement vacants. 1982. Il faut bien comprendre l’écrasement du parc de résidences principales par les résidences secondaires que cela a représenté à l’époque dans certaines petites communes. Reste aujourd’hui le poids démographique de ces lotissements isolés dans leur commune d’accueil (représentant 30 à 70 % de la population).
Leur morphologie – boucle de circulation intérieure et antennes en impasse - fait ressortir un sentiment « d’entre-soi » et leur isolement a pu développer une ségrégation spatiale et sociale. Vu de l’extérieur, le peuplement de ces lotissements se caractérise par la présence importante de « parisiens fraichement débarqués ». Vu de l’intérieur, un phénomène de « clubbisation » tend à se développer où les habitants deviennent des acteurs sociaux qui « participent à la structuration de l’espace rural avec des références urbaines ».
Problématique urbaine
Dans le diagnostic du SCoT du Montargois en Gâtinais (octobre 2014), la question de « l’héritage des lotissements boisés » se pose de la manière suivante : « Ce mode d’habiter pose de fait d’importants problèmes de communication avec les bourgs et villes d’attache » […] « Cela conduit à l’abandon des centres bourgs et à l’amplification de l’éclatement des polarités urbaines dans un territoire déjà très morcelé et en proie à une désertification rurale du fait du déficit d’emploi. » Pour arriver à la conclusion suivante : « On peut à juste titre s’interroger sur leur futur et sur l’intérêt qu’auront les collectivités à investir dans la réhabilitation de ces lotissements alors que l’urgence semble ailleurs. »
Dans un département rural, les lotissements en milieu boisé ont créé une urbanisation en taches de léopard, désorganisant le réseau urbain préexistant. Cette forme urbaine spécifique est tombée en déshérence et tous les acteurs du Loiret ont oublié d’où elle venait… Et sont donc incapables d’en tracer un avenir.
Spécificité boisée
L’esprit initial des lotissements en milieu boisé s’est perdu lors des transactions successives avec des extensions ou constructions nouvelles de plus grande importance s’accompagnant d’un déboisement. Il existe là un risque notable de perte d’identité pour des ensembles urbains qui tirent leur spécificité de la couverture sylvestre qui avait fait initialement leur charme. Or, les boisements participent grandement au paysage urbain de ces lotissements en « fondant » l’éclectisme des constructions et des clôtures dans un environnement végétal.
Les règlements de lotissement initiaux étaient plus contraignants que les règles applicables aujourd’hui puisqu’ils préservaient les boisements. La plupart du temps, la caducité du règlement de lotissement a replacé ces lotissements dans le règlement d’urbanisme communal avec des règles souvent communes à tous les lotissements de la commune, qu’ils soient boisés ou non.
Des études sociologiques ont été réalisées pour mieux cerner les profils des habitants des lotissements en milieu boisé. Or il apparait que la référence au caractère boisé des lieux n’apparait pas dans les témoignages des habitants : il n’est ni une contrainte, ni un atout. Certains habitants maintiennent les arbres sur leur parcelle quand d’autres les suppriment ou les remplacent par des essences plus horticoles : « Il est difficile avec ou sans règlement d’imposer, à ces résidents désireux d’investir les lieux à leur image, des conditions même si celles-ci sont faites pour maintenir l’ambiance des lieux. » À des valeurs périrurales d’un idéal campagnard ont succédé des valeurs périurbaines plus classiques.
Diachronie sylvestre
Il faut appréhender les lotissements boisés dans leur diachronie : depuis leur création qui a vu un déboisement des voies, les premières constructions de villégiature, les premières constructions maçonnées puis le déboisement progressif, la plantation d’essences ornementales et aujourd’hui les tailles à blanc réalisées par les nouveaux constructeurs. Le risque actuel est de transformer ces lotissements en quartiers banals, victimes de leur isolement.
UN PATRIMOINE POSTMODERNE
D’inspiration nord-américaine, les lotissements en milieu boisé du Loiret (1968-1974) sont en rupture avec l’urbanisme moderniste alors dominant. Relevant d’un double collage - de l’insertion d’une forme urbaine nord-américaine dans des boisements et d’un éclectisme architectural - ces quartiers relèvent de la postmodernité et représentent un patrimoine méconnu à ce jour.
Vers une forme de patrimonialisation ?
Les lotissements forestiers isolés présentent une conception urbaine et paysagère très spécifique. Ils ont expérimenté des techniques de génie rural appliquées à l’urbanisation avec, entre-autre le traitement aérien des eaux pluviales, tout en développant des valeurs de villégiature avec des espaces communs récréatifs, une grande liberté architecturale… Toutes ces spécificités plaident pour reconnaitre à ces lotissements un caractère pittoresque et des qualités environnementales.
Les lotissements forestiers déroutent par leur incongruité et les tensions provoquées par leur peuplement. Ils sont clairement d’influence nord-américaine et appartiennent à l’histoire récente du développement du tourisme de masse. C’est à cette même époque que ce sont développés le tourisme de masse du littoral et les stations de ski. De moins grande ampleur, cet urbanisme de villégiature en est une expression populaire, rendue possible par le développement du réseau routier francilien. Il n’existe en revanche aucune filiation historique possible avec les lotissements forestiers qui s’étaient développés en Île-de-France au XIXe siècle (exemple du « Parc de la Station » au Vésinet, 1858). Ces derniers, en extension d’urbanisation, épousent un plan orthogonal rationnel et composé avec la prévalence pour une organisation viaire classique. Au contraire, les lotissements du Loiret se caractérisent le plus souvent par un plan fait de longues voies en lacets souples qui desservent de manière organique de grandes parcelles.
Ce qui fait patrimoine
Le caractère dérégulé de ces lotissements apparait de prime abord lié à l’absence de règles d’urbanisme contraignantes tant pour l’implantation des constructions, leur forme et prospect, ou encore le choix des matériaux. Non règlementé ne veut pas dire en dehors des normes. Il est intéressant de remarquer la prégnance de normes sociales avec la construction de chalets en bois souvent vernis jusqu’au pavillon coquet qui reproduit l’imaginaire pavillonnaire. Ces constructions en milieu boisé sont plutôt la projection d’un idéal de mode de vie : le chalet, le pavillon de plain-pied, la maison cossue à étage présentant des signes de notabilité. Certains lotissements abritent néanmoins des expérimentations comme les « chalets - tentes » du lotissement du Bois noir (Ervauville).
Encore plus que par leur petit patrimoine architectural, ces quartiers tirent leurs spécificités de leur forme urbaine liée à la tentative factice d’alliance de la ville et de la nature. Ils peuvent être reconnus comme un patrimoine du XXe siècle spécifique au Loiret.
Des références nord-américaines
Les références ayant présidé à la conception de ces lotissements sont d’inspiration nord-américaine. On retrouve dès 1922 en Ontario la volonté de créer une communauté modèle avec le lotissement forestier de Kapuskasing, conçue par la puissance publique avec de larges rues en lacets et de très nombreux espaces verts. Les Forest Subdivisions nord américains conçus après la Seconde Guerre mondiale portent un grand nombre des caractéristiques propres aux lotissements isolés du Loiret : larges voiries souples, grandes parcelles, préservation de la végétation native, présences de services collectifs récréatifs…

Ce type de conception urbaine pourrait se situer dans le lointain lignage de Broadacre City (1930) de Frank Lloyd Wright où la ville diffuse baigne dans une végétation omniprésente.
L’a-territorialisation bucolique
Dans leur caractère de villégiature, les lotissements étaient vécus comme a-territorialisés par leurs habitants puisque seule leur situation à une heure de Paris (un peu moins d’Orléans) et leur calme prévalaient. Leur construction fut totalement dépendante du développement du réseau autoroutier et de la voiture. Leur déterritorialisation est renforcée par leur conception autonome, remplissant un bois préexistant en s’installant de manière furtive, le bois formant comme un cocon qui délimite l’enclave urbaine.
L’architecture même qui s’y est développée - sans règle d’implantation et de gabarit ou de forme a abouti à des expressions architecturales variées allant du chalet savoyard à des constructions néorégionales ou encore à des pavillons anglo-saxons avec petits frontons à piliers. Rarement des ensembles urbains rassemblent un tel éclectisme. Dans ces tissus urbains, c’est moins l’architecture qui compte que l’implantation de la maison sur sa parcelle, la préservation des arbres existants, la manière d’agencer son jardin d’agrément, les jeux pour enfants ou encore les mangeoires dans les arbres. Habiter dans le bois relevait de la mythologie de l’isolement, le retour à une vie perçue comme proche de la nature pour des Franciliens habitués à une vie très urbaine.
Une essence postmoderne
Il est possible de rattacher les lotissements en milieu boisé au postmodernisme, tel que théorisé par Charles Jencks, qui engage une rupture avec les conventions du modernisme. Or l’époque concernée voit le sommet du modernisme en France avec la création des villes nouvelles autour de Paris. Des deux principes du postmodernisme que sont le retour aux compositions et aux motifs empruntés au passé d’une part et l’éclectisme s’appuyant sur les cultures populaires et élitistes sans distinctions d’autre part, les lotissements en milieu boisés ne retiennent que la seconde. Plus spécifiquement, ils appartiennent à l’art postmoderne du collage d’éléments hétéroclites sans souci d’harmonie ou d’insertion. Coller le plan de Kansas City dans le Loiret relève d’un collage propre au postmodernisme par le recours à la culture populaire de la maison individuelle.
L’examen de la publicité d’époque est révélateur. Dans un collage se superposent la référence au peintre néoclassique Anne-Louis Girodet-Trioson (1767-1824), l’expression de valeurs périrurales avec l’accès aux productions fermières ou la proximité de la nature et enfin l’exaltation de valeurs individuelles (« À l’ombre de vos propres arbres centenaires », « parce qu’aucun type de construction ne vous y sera imposé »). Cette publicité en elle-même peut-être considérée comme une pièce postmoderne où le contraste entre les différents éléments qui la composent mélange culture populaire et culture élitaire dans l’immédiateté de l’opportunité d’acquisition.
Type : recherche urbaine
Objet : patrimonialisation d'une forme urbaine du XXe siècle
Date de réalisation : 2016
Lieu principal de réalisation : Orléans
Commanditaire : DDT du Loiret
Structure porteuse du projet : Cerema
Auteur : Jean Richer
Vers une forme de patrimonialisation ?
Une publicité d’époque montre clairement le caractère complexe des lotissements forestiers puisqu’il y est fait référence à quatre niveaux d’interprétation culturelle. 1- La publicité commence par la référence au peintre romantique Anne-Louis Girodet-Trioson (1767, Montargis - 1824, Paris), natif du Gâtinais. 2- « Pour l’ombrage de vos propres arbres centenaires » suivi plus bas de « J.M. Auberton, issu d’une famille de forestier implantée implantée en Gâtinais depuis 4 siècles », retour à l’idée du terroir multi-centenaire et exaltation du sentiment patrimonial. 3- « À une heure de Paris, zone verte protégée... , le romantisme de Girodet laisse le pas à l’appropriation d’une « zone verte », terme en vogue à l’époque (à l’instar des espaces verts). 4- l’affirmation en gras « et aussi parce qu’aucun type de construction ne vous y est imposé » montre le caractère libérale de ce type d’aménagement où aucunes contraintes ne reposent sur les nouveaux conquérants du Loiret qui apparait en filigramme comme un Far-West populaire pour parisiens.

Les lotissements forestiers isolés présentent une conception urbaine et paysagère très spécifique (surtout pour le type furtif). Ils ont expérimenté des techniques de génie rural appliquées à l’urbanisation avec, entre-autre le traitement aériens des eaux pluviales avec retenues d’eau, tout en développant des valeurs de villégiature avec des espaces communs récréatifs, une grande liberté architecturale… Toutes ces spécificités plaident pour reconnaitre à ces lotissements un caractère pittoresque et des qualités environnementales. Ils pourraient être reconnu comme un patrimoine du 20e siècle spécifique au Loiret, exactement comme la qualité architecturale et urbaine des grands ensembles de la même époque est reconnue aujourd’hui. bien qu’appartenant à la petite histoire de la société des loisirs (face à la « bétonisation » massive des littoraux par exemple), ces lotissements présentent des qualités indéniables. D’ailleurs, l’application de la grille d’engagements du Label EcoQuartier (version 2014) à ces lotissements démontre des qualités latentes.

S’agissant d’objets urbains bien plus complexes qu’il n’y paraît, il conviendrait de ne pas intervenir sur ces quartiers isolés de manière brutale. L’adoption d’une charte paysagère commune à ces lotissements serait un premier pas en imposant la reconnaissance de ce patrimoine du 20e siècle, en décrivant ses spécificités et en établissant des préconisations qui puissent être directement intégrées dans le règlement des PLU(i) concernés. Après un historique et une analyse paysagère, les motivations principales pour la création de la Charte y seraient exposées sur un périmètre en tache de léopard (correspondant à l’emprise des différents lotissements), suivi de différentes recommandations sur les espaces arborés publics, les espaces arborés majeurs, les clôtures ou encore le petit patrimoine architectural. La réglementation de l’architecture y parait être en revanche un contresens historique puisqu’il s’agissait d’une liberté initiale.

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