Compte rendu de la visite du Musée de l'Accident effectuée le 30 mars 2024.
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Agent XXM_4591
Ministère des Affaires Controversées Inspection Générale
CR-VIS/MDA-240330-XXM_4591

Mon ordre de mission indiquait un voyage sur place la veille, l'administration m'ayant expliquait que je n'aurais qu'une pleine journée d'autorisation d'accès et qu'une chambre avec ses commodités m'était réservée dans l'aile sud.
Bien qu'entrainé aux maladresses administratives, lors de mon arrivée en début de soirée du 29 mars, je fus un peu décontenancé d'apprendre, via un SMS de l'agence, que l'aile sud avait été détruite et que je serai logé, sans autre précision, "dans l'annexe".
Les indications portées sur la panneau d'accès au site ne faisaient aucun doute : l'annexe se plaçait environ 500 mètres "en arrière" sur le chemin légèrement boueux que je venais, à la nuit tombante, d'emprunter. J'avais effectivement longé en venant un petit bâtiment qui se trouvait être l'annexe, où, comme me l'avait précisé le courriel réservant une chambre dans l'aile sud, le code d'accès s'avéra être mon code habituel, la reconnaissance faciale nous étant proscrite.
Petit, le lieu, malheureusement sans fenêtre mais bien éclairé électriquement, était confortable avec toutes les commodités d'une chambre d'hôtel de catégorie intermédiaire, à disposition un plateau repas compensa la médiocre nourriture offerte pendant le voyage. Je cherchais vainement la télécommande de l'écran fixé au mur face au lit pour tenter avec succès une commande vocale "allumer please". Dans une langue aux étranges consonances que mon SmartPhone de fonction (SPf) identifia comme de l'araméen et qu'une autre commande vocale "en français please" me permit de comprendre, une femme élégante d'une cinquantaine d'années racontait son voyage de Bagdad à Séville. Plutôt sympathique, ce récit bien documenté (images et vidéos l'illustrant) détaillait les différentes difficultés qu'elle avait rencontrées. Alors que je commandais "autre programme please" rien ne se produit et j'assistai distraitement en mangeant à ce récit et ses péripéties.
À la fin de la séquence de 47 minutes, alors que je finissai la demi-bouteille de "syrah" (sans autre mention), l'écran parut m'adresser une demande d'identification. Comme notre entrainement nous l'apprend (—se limiter au strict nécessaire), j'ignorai la demande qui fut réitérée. Je déclinai alors mon matricule d'agent qui eut pour effet l'extinction de l'écran que plusieurs commandes vocales ne parvinrent pas à rallumer.
Il était 22:22 lorsqu'après mon brossage de dent, je me mis au lit avec l'intention de me reposer avec un réveil programmé à 5:00 pour repréparer ma visite. Je fus réveillé (00:12 SPf) par ce qui m'a semblé être une forte explosion, pareille à l'écran éteint, malgré mes différentes tentatives, la porte d'accès n'a pas voulu s'ouvrir. Placé sur le compte de la sécurité nocturne, j'ai accepté cet enfermement espérant qu'il se débloquerait à mon réveil.
Les notes personnelles m'étant autorisées, j'avoue m'être quand même sérieusement inquiété de cette vraisemblable explosion sans avoir simultanément informé mon service que je sais saturé d'alertes ; mon sommeil n'a pas été de bonne qualité.
Éveillé à 04:49, une sonnerie autre que celle SPf a accompagné l'ouverture d'une niche dans laquelle j'ai trouvé du café et du lait chauds ainsi qu'une banane et deux croissants que j'ai consommés. Comprenant une douche et mon habillage, mes préparatifs ont notamment permis de vérifier l'état de mes moyens de captation (sons et images) et les exigences de la mission.
RAPPEL : votre visite Agent XXM_4591 a pour principal objectif d'établir la conformité du Musée de l'Accident.
POUR CE FAIRE, vous aurez soin de relever toutes les anomalies qu'elles soient FOrmelles, COnceptuelles, FInancières ou ADministratives. Tout en restant le plus concis possible, vous utiliserez le format 01-10 de votre SSD sécurisé et les 3 catégories académiques DAC de notre charte (Description Analyse Commentaire).
L'agence prend en charges les premiers frais et vous remboursera sur facture toute autre dépense de mission dument payée en liquide.
Je disposais en réalité d'une petite documentation fournie par les amis et la présidence du musée et quelques données internet, dont des articles de presses françaises et étrangères. Ma couverture était celle d'un conservateur de musée suisse qui étudiait la faisabilité d'une extension en musée des catastrophes. Je devais être reçu à 08:30 sur les lieux successivement par trois personnes : la directrice (femme réputée autoritaire), le conservateur de la collection, et la cheffe "maintenance et sécurité". Un déjeuner, ainsi que l'hébergement, me seraient offerts. J'avais par ailleurs réalisé préalablement deux visioconférences : l'une avec le président des amis du musée et l'autre avec la présidente du conseil d'administration (cf. documents classés). Occasion d'apprendre quelques malversations et des difficultés de trésorerie qui ne semblaient pas insurmontables, et que je comptais exploiter dans les entretiens sur place.

Porte déverrouillée, je sortais un peu avance (08:00 SPf) afin de profiter du jour et 500 mètres de distance pour étudier physiquement les abords du musée. Loin d'être seul car des services de secours s'affairaient durant le parcours et si occupés qu'aucun ne put m'informer de la situation. Ayant aisément fait le rapprochement entre le bruit nocturne de l'explosion et cette activité, je m'inquiétais des dégâts et des victimes durant les 500 mètres, notant que les services très affairés ne semblaient pas gérer des dégâts matériels et que les 4 ambulances croisées n'accueillaient aucun blessé. Pour tout dire, la situation me semblait plus qu'étrange : pas d'interlocuteur, pas d'information, pas de dommage visible, une dizaine de véhicules, autant de personnels visibles, une grande activité et peu de bruit.
Approchant de ce qui devait être le musée dont j'avais fréquenté hier l'accès et profitait des indications du panneau d'entrée, je ne distinguais aucun bâtiment, ni personne (08:23 SPf) pour m'accueillir. Intrigué et décontenancé, je cherchais ce qui aurait du se conformer aux images des bâtiments que j'avais pu consultées ici et là. Il y avait bien une petite bizarrerie lumineuse partant du sol qui offrait un peu plus de luminosité au-dessus. À 8:29, une porte s'ouvrit matérialisant un bâtiment totalement et parfaitement dissimulé derrière l'image de son site sans
lui. C'était très réussi hormis cette légère différence lumineuse que j'avais pu notée.
Samantha Willing en personne m'accueillait, souriant sans doute du tour visuel auquel je venais d'être soumis, à 8:30 j'avais soudainement devant moi la maison sur la cascade de Wright y compris le bruit de l'eau avec Madame Willing toujours souriante sur le côté et me lançant : "Bienvenu dans notre musée cher Monsieur, nous vous attendions.
Avez-vous passé une bonne nuit ?
Ne me laissant pas le temps d'un bonjour, ni d'une réponse, elle poursuit :
Vous avez sans doute entendu cette nuit un grand bruit dont nous devons nous excuser ainsi que du blocage de votre porte, mais notre random-protocole a, évidemment sans prévenir, lancé un exercice de sécurité dont vous voyez s'activer les équipes diurnes. La consigne est, entre autres, de ne répondre à aucune question.
Elle m'invita après quelques échanges d'amabilité à franchir l'accès au lieu. Je me retrouvais dans un grand hall aux parois incertaines. Encore une fois, je ne pouvais pas dire où s'arrêtait l'espace dans lequel j'étais ; à chaque endroit où je pouvais supposer une limite, l'espace semblait se dérober en flou. Tout en écoutant la directrice, je me concentrais sur ce point en imaginant qu'il s'agissait aussi d'une élaboration visuelle, mais sans bouger nous fûmes dans un espace plus restreint apparenté à un bureau que la directrice me présenta comme le sien. Une des choses surprenantes de cette affaire n'était plus la supercherie visuelle mais qu'un bureau manifestement en bois, des rangements et une sorte de salon avec canapés se trouvaient bien là. J'interrogeai mon interlocutrice :
—Cherchez-vous à me décontenancer ?
—Pas du tout, vous vous trouvez ainsi au coeur de notre musée doté de notre plus belle conception "là-ici", "SomeWhere" en langue planétaire, en somme SW dont, j'imagine, vous souhaitez connaître le procédé.
—Alors ?
—Vous savez sans doute que Paul Virilio a désiré un musée de l'accident qu'il avait finalement rencontré dans un écran de télé. Après que la première équipe ait décidé que la première pièce en serait une bibliothèque dite "pérégrine" conçue par Hala Wardé, un désaccord a bloqué le projet d'appel de fonds pour cette réalisation devant initialement comprendre une partie significative de la bibliothèque de Virilio et une partie de l'équipe initiale.
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POUR CE FAIRE, vous aurez soin de relever toutes les anomalies qu'elles soient FOrmelles, COnceptuelles, FInancières ou ADministratives (FOCOFIAD). Tout en restant le plus concis possible, vous utiliserez le format 01-10 de votre SSD sécurisé et les 3 catégories académiques DAC de notre charte (Description Analyse Commentaire).
NB : Ses composants n'ayant pu être plus synthétisés, cette partie excède les 3/4 pages convenues

Après cette introduction dans les lieux, Madame Willing me présenta le procédé SW qui exploite la dernière version des écrans dématérialisés mis au point par la société qatarie ElKhomTec (EKT) qui offre la possibilité de produire des projections en 3D quelle que soit la situation dont la luminosité.
— Bien que cette "fonction" consomme beaucoup d'énergie électrique, elle répond néanmoins parfaitement aux besoins du musée dans lequel image et son réalistes sont essentiels.
Je l'interroge alors sur ses dépenses énergétiques.
— Comme vous le savez et sans doute de même dans votre établissement, nous avons des partenaires dont le ministère de l'industrie et celui de la défense qui nous facilitent grandement les choses.
Me gardant bien de lui avouer que ces ministères nous (Ministère des Affaires Controversées) ont précisément missionnés pour apprécier où va cette partie de leurs fonds et si tout est bien conforme.
Je hoche la tête pour montrer que j'entends bien le conseil de ne pas me montrer trop curieux à ce sujet, tout en notant de rester vigilant sur le dossier FI de notre FOCOFIAD et, surtout, de bien évaluer les différents coûts dont, pensant notamment à la maison sur la cascade, les droits d'exploitation d'architectures réputées et celui du procédé SW. Elle poursuit :
— Tous nos espaces utilisent ce procédé sans qu'il fasse l'immobilité du visiteur puisque nous aurions pu lui procurer la réalité de plusieurs salles sans qu'il ait à se déplacer. Tout au contraire, il se déplace, tout du moins il a bien l'impression de se déplacer car nous avons mis au point avec la société Disney, une autre de nos partenaires, un sol dynamique qui, doté de nombreux capteurs et de moteurs polydirectionnels, produit parfaitement l'impression kinesthésique du déplacement. Comme vous pouvez l'imaginer, si la chose était compliquée pour un seul visiteur, elle semblait impossible pour un groupe. Sur ce point, nous avons bénéficié des apports de la société Kuantic basée à Calcutta capable de produire des différentiels de temps qui complètent les mécanismes spatiaux. Nous sommes assez fiers de ce système que nous avons déjà revendu pour la prochaine exposition universelle à Sofia.
Je lui demande si j'ai bien compris que le visiteur se déplace sans bouger.
— En réalité, le système procure toutes les sensations d'un déplacement sans que le corps n'ait changé de place, nous allons en faire l'expérience.
— En fait, vous ne pouvez, si je comprends bien, accueillir qu'un groupe de visiteur à la fois.
— Nous avons également élaboré avec l'Université de Dick l'UbicSpace (DUS) un dispositif qui nous permet d'avoir plusieurs entrances du même endroit, c'est-à-dire que les visiteurs entrent en séquence par groupe par la même entrée dans des espaces différents.
Assez brusquement de ma part :
— Vous ne m'avez rien dit de l'accident que vous exposez !
Samantha Willing sans se dérouter :
— Nous savons tous que l'accident est soudain et ne prévient pas, par conséquent notre dispositif fournit cette soudaineté et ne prévient jamais de ce qui suit.
— Vous produisez donc une pure expérience sans connaissance ?
— Pas du tout, notre bibliothèque, très différente du projet initial, est un lieu de connaissance physique et numérique, elle offre à chaque groupe la possibilité de consulter les ouvrages qui documentent les situations qu'il vient de vivre, à l'inverse du temps compté de visite des salles en 90 minutes, celui de la consultation n'est limité que par notre heure de fermeture, soit 20 heures en période habituelle.
— Je vous remercie de tous ces éclaircissements, comme vous ne m'avez rien opposé, je peux conserver l'enregistrement que je viens de faire qui me permettra de revenir sur certains points. Maintenant, j'aimerais si possible faire l'expérience de tout ce que vous venez de m'exposer.
— Avec plaisir !
Sans prévenir, je me retrouve au milieu d'un endroit très chaud et humide dont la végétation paraît être celle d'une jungle dans laquelle je ne vois plus la directrice, un énorme bruit de frottement couvre de plus en plus ceux d'animaux que je ne distingue pas alors que la lumière s'obscurcit et qu'une gigantesque masse rougeoyante apparaît dans le ciel pour s'écraser à quelques mètres en me projetant à terre où je suis saisi de toutes les odeurs végétales assorties d'une considérable odeur de brulé que confirme la brulante présence d'un incendie qui s'approche, et tout se fige.
Réapparue entre deux lianes, Samantha Willing annonce :
— Notre dernière création : FA pour frozen accident que nous testons actuellement sans savoir si elle sert ou dessert nos objectifs...
— Qui sont ?
— Une infinie randomisation spectaculaire afin que tout visiteur puisse revenir en découvrant de nouvelles perspectives...
— Qu'entendez-vous par perspectives ?
— Notre comité de pilotage a statué sur "l'accident comme inédite perspective" que nous avons traduit par des ambiances discontinues susceptibles d'inquiéter ou d'exalter. Vous avez sans doute consulté notre livre d'or public auquel nos visiteurs sont conviés et rendent globalement compte d'expériences positives. Nos stagiaires en communication s'approchent des insatisfaits qui ont laissé leur contact pour échanger et contribuer au développement général de notre accidentophilie.
Mais je vous monopolise et je sais que vous avez rendez-vous avec Élie Ming Al Kharem notre conservateur général qui vous attend dans la réserve.
— Je vous remercie de votre accueil mais je ne vois pas comment le rejoindre.
— Je vous accompagne.
Et nous retrouvons dans ce qui pourrait aisément être un sous-sol.
Cet "effet" d'immédiat transport est très troublant et m'apparaît à la réflexion comme L'accident qui nie "le temps du temps de déplacement car instantanément avec d'autres dans un autre espace". Notre Institution (Ministère des Affaires Controversées) milite pour défaire-refaire ce qui est arrivé comme controverse et, par conséquent, peine à accepter que tout arrive "sans coup férir", c'est-à-dire "sans temps", "sans prévenir" ! Car ce qui est arrivé n'est jamais qu'un autre espace fait d'autres circonstances et le passage du précédent au présent est Histoire sans laquelle le temps du présent n'est différent qu'en apparence mais plus en substance. Et, sans substance, sont vaines les apparences.
Si tout arrive en même temps, il n'y a plus qu'un jeu d'apparences, probablement tout en simulacres que décrivait Baudrillard.
Élie Ming Al Kharem me reçoit également avec un large sourire encadré d'une barbe de 3 jours, sa poignée de main est ferme et paraît déterminée. En charge des collections et des expositions, il me rappelle les moyens techniques engagés. Interrogé sur le coût, il esquive avec un "Toute bonne chose à un bon prix !" et répondant à ma cordiale insistance :
— Notre directrice est la plus informée à ce propos. Je reconnais avoir obtenu les moyens supplémentaires que je demandais et pouvoir acquérir et réaliser les expositions que je souhaitais.
— Vous parlez d'exposition et supposez une collection, il s'agit sans doute des ambiances que m'a présenté votre directrice.
— En réalité, chaque ambiance est l'objet d'une conception impliquant des créateurs et des effets spécifiques. Chaque conception produit une convention indiquant les ayants droits, les techniques engagées, une documentation, les dispositions générales et les termes de propriété. Certaines conceptions occasionnent des conventions de conventions.
— Justement, qu'entendez-vous par " les dispositions générales et les termes de propriété" ?
— Notre terminologie est un peu particulière car chaque conception a ses singularités pour lesquelles nous identifions les usages, les ressources et les dépenses selon l'acronyme URD que nos conseils ont mis au point.
— Pourrais-je en avoir un exemplaire ?
— Je regrette, mais cette façon de procéder et les conventions sont confidentielles entre parties, et, par conséquent, ne sauraient être communiquées.
— C'est bien regrettable mais vous pouvez sans doute me dire sous quelle forme elles sont rangées et leur nombre, car, si j'ai bien suivi, j'aurais ainsi un aperçu de votre collection.
— Comme visiteur privilégié, vous avez déjà un aperçu de notre collection et nous répondrons dans les meilleurs délais à toute demande écrite et formelle de votre part. Vous imaginez aisément combien de maladresses diplomatiques doivent être évitées.
— C'est-à-dire ?
— Nous travaillons en étroite relation avec des industries étrangères et fréquemment stratégiques qui exigent de nombreuses précautions. Nous ne communiquons jamais sur nos ressources, le détail de nos partenariats et nos dépenses.
— Y compris avec vos partenaires institutionnels ?
— Le strict nécessaire afin de conserver notre entière indépendance.
— Que pouvez-vous me dire de plus ?
— Je peux vous montrer et détailler quelques "miniaturisations" ou "projets" que nous nommons "simulacres" et qui figurent dans notre bibliothèque publique.
— Je pourrais tout aussi bien les consulter à distance.
— Vous comprendrez certainement que nous sommes également très stricts sur ce point : puisqu'ils engagent trop de parties sensibles, vous ne pouvez les consulter que sur place sans aucun moyen de duplication.
— Une récente campagne de presse vous a reproché de contribuer à des fins exclusivement militaires...
— Effectivement, nous avons eu à cette occasion soin de rappeler notre mission exclusivement "accidentelle" qui ne pouvait exclure les questions militaires mais qui comporte bien d'autres questions dont naturelles, médicales, techniques, psychologiques, numériques, voire quantiques.
— Si j'ai bien suivi, la campagne a alors crié au déni affirmant que toutes ces questions étaient aussi militaires...
— Oui, bien sûr mais toute conception pouvant être une arme par destination, nous avons alors rappelé que concevoir l'accident n'était pas en provoquer mais élargir son expérience et sa compréhension. Je suis désolé, mais je vais devoir vous laisser circuler dans le musée avant votre prochain rendez-vous car nous avons une urgence.
J'ironise : "Tout accident ne fait-il pas urgence ?
— Oui, vous avez raison, mais il s'agit là d'un problème technique qui nécessite mes codes.
Le conservateur général me confie dans la foulée à une accompagnatrice qui, semble-t-il m'attendait derrière la porte de son bureau et il s'éloigne.
L'accompagnatrice se présente : "Je suis Irène Domage à votre disposition pour la visite de notre musée dans l'espoir de vous être utile et de pouvoir répondre à toutes vos interrogations. Si cela vous convient, nous déjeunerons ensemble avant votre rendez-vous d'après-midi avec notre responsable de la maintenance et de la sécurité qui vous accompagnera en fin à la bibliothèque ou vous disposerez d'une petite collation et de notre valise VIP.
Alors que j'aurais du, je m'aperçois à cet instant que, compte tenu de la brièveté des rendez-vous, je n'ai pas interrogé la directrice et le conservateur sur leur parcours personnels et profite de mon accompagnatrice pour en savoir un peu plus que ce qui est officiellement diffusé à leur sujet.
— J'ai déjà rencontré votre directrice qui, sans doute par modestie, ne m'a pas dit comment elle en était arrivé à ce poste, pouvez-vous m'en dire plus ?
— Notre directrice générale, comme vous le savez sans doute, est polytechnicienne et elle a soutenu un doctorat au MIT sous la direction Ming Tchang sur la programmation trans-numérique. Elle a ensuite était conseillère technique en Iran et à Taïwan avant d'être conseillère spéciale à la présidence chargée des questions technologiques et écologiques avant d'être nommée à la direction opérationnelle d'Orange lorsque Xiaomi s'y est associé, poste qu'elle a occupé 4 ans avant de prendre la direction de notre musée.
— Merci de ces informations et le conservateur que nous venons de quitter ?
— Il a un parcours moins conventionnel dans la mesure où il est diplômé d'HEC avant d'avoir été contrôleur de gestion chez Cartier International et co-administrateur de trois sociétés diamantaires affiliées puis il s'est occupé d'ONG dont Strategic Transparency avant 2 ans passés dans l'ashram de Herman Hass ce physicien prix nobel pour ses découvertes quantiques converti au bouddhisme tantrique et, contre toute attente, a été recruté par notre directrice sur ce poste de conservateur général.
— Grand merci, c'est très intéressant, et que me proposez-vous maintenant ?
— Je vous propose de mieux découvrir nos installations dans les moments, c'est le mot que nous utilisons, d'exposition et quelques backgrounds choisis.
— Avec plaisir.
Sans transition je suis de nuit, frôlé de toutes parts au coeur d'une foule sur un sol boueux, dans ce qui peut bien être un concert de musique pop dont le son ne ménage pas ses décibels. J'entends des cris qui diffèrent de ceux des fans et je m'approche d'une scène d'horreur où des corps dont certains remuant sont imbriqués dans ce qui semble être les restes d'un vaste échafaudage, je suis immédiatement saisi du besoin de leur porter secours quand tout aussi soudainement je retrouve mon accompagnatrice dans un hall qui pourrait être celui d'une gare puisque je perçois assez distinctement des annonces de départ et d'arrivée de trains. Irène Domage confirme la nécessité de surprise de son institution et me range à cette évidence avant qu'elle ne m'annonce une sympathique rencontre.
Aussitôt, je suis en ma présence : mon vis-à-vis est mon pareil qui s'exprime manifestement en farsi que je reconnais en sonorité et que j'ai l'étonnement de comprendre, il me dit que je ne dois rien craindre et qu'il est bien celui que je crois, c'est-à-dire un autre moi avec lequel je peux jouer "en toute franchise". Cet autre moi est bien ici, en réalité et non en miroir, il me propose de le toucher pour en être plus sûr, je le palpe, il est physiquement là, présent et aussi bavard que je peux l'être tout en répondant à diverses questions dont "Comment se fait-il ?" et il m'explique "son" procédé.
J'ai été pleinement scanné depuis mon arrivée dans le musée et ma voix a été reproduite par une machinerie assez simple en algorythme, mon image hologrammatique a été ensuite ajustée à un robot humanoïde qui peut être touché et se déplace de façon autonome dans un espace-temps qui peut également être discontinu.
Une fois revenu auprès d'Irène, cette fois-ci sur une plage, je persiste dans l'émoi de ces expériences si réelles. Avant d'arriver au backstages, mon accompagnatrice me prévient d'un autre accident encore plus troublant pouvant parfois nécessiter une décompression psychologique. Me pensant très averti de ces questions je ne m'en inquiétai pas et ai vécu une expérience mémorable d'amnésie-aphasie : suis alors dans un espace sans consistance, y flottant sans y être en apesanteur, et je ne parviens pas à m'identifier, certains que je suis bien une personne, je ne peux savoir laquelle, je ne me souviens pas d'avoir déjà été ainsi tout en restant incertain de cet arbre qui ressemble à un immeuble qui s'évertue à paraître une fusée, je vois des choses que je sais invisibles et ne reconnais pas cette personne qui semble bien me connaître mais élude toute question me concernant et je m'évanouis. Après un temps inconnu, suis de nouveau avec mon accompagnatrice, cette fois-ci penchée sur moi avec un air inquiet et une question : "Ça va ? Comment vous sentez-vous ?"  à laquelle je dois avouer ne pas être très à l'aise. Une fois mes esprits repris, nous marchons, tout du moins j'en ai cette impression vers une sorte de grand bloc fracturé de plusieurs portes surmontées de panneaux parfaitement illisibles. Toujours joviale, mon accompagnatrice me rassure :" Ne vous étonnez pas de notre utilisation d'une écriture à laquelle nous travaillons pour qu'elle ne puisse jamais être lue. Vous savez probablement que nous sommes sollicités pour produire l'accident intégral dont l'accident scriptural nous semble un bon truchement."
La visite du bloc est toute aussi éclairante : rien que je puisse précisément comprendre pour en restituer la teneur hormis diverses salles de travail avec des personnes le plus souvent en tee-shirt et des machines plus ou moins graisseuses. qui semblent fonctionner sans assistance. Interrogée sur le nombre de personnes actuellement en activité au musée, Irène Domage a cette déconcertante réponse : "Beaucoup de nos personnels sont en fait mis à notre disposition dans le cadre de nombreuses conventions académiques et institutionnelles, nous comptabilisons aujourd'hui une vingtaine de permanents dont l'encadrement sans compter les administrateurs bénévoles des différents conseils." Suite à mon insistance, elle ajoute : "Nous avons beaucoup de stagiaires venus d'ailleurs qui ont signé un engagement de totale confidentialité."
Et nous passons à table pour un frugal déjeuner sans alcool, après quelques échanges cordiaux mais sous informés, nous sommes rejoints au café par Gertrude Von Arnim, responsable de la maintenance et de la sécurité.
À ce stade, mes informations sont vagues et peu alignées, j'ai grand peine à apprécier ce que pourrait être la conformité de l'installation, je n'ai rien vu des backstages promis et Irène Domage nous quitte.
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